---
timestamp: "00:00"
marker: "!"
title: "Les fondations idéologiques d'un ordre condamné"
quote: "le libéral International order érigé après la guerre froide s'effondrait en 2019. Il était vicié dès le départ et donc voué à l'échec."
details:
L'article établit d'emblée la thèse centrale : l'ordre international libéral (OIL) post-guerre froide contenait en lui-même les germes de sa propre destruction. L'auteur, John J. Mearsheimer, professeur à l'Université de Chicago, argue que cet ordre était fondamentalement incompatible avec les réalités persistantes du système international, notamment la puissance du nationalisme et les impératifs de la politique de puissance. Contrairement à la narration dominante qui impute son déclin à l'élection de Donald Trump, Mearsheimer soutient que des problèmes structurels plus profonds, inhérents à ses prémisses libérales, expliquent son effondrement. L'objectif de l'article est donc à la fois diagnostique et pronostique : comprendre pourquoi cet ordre a échoué et anticiper la nature de l'ordre réaliste qui lui succédera dans le monde multipolaire émergent.
La définition conceptuelle de l'« ordre » est cruciale pour l'argument. Mearsheimer le définit non comme un état de paix ou de stabilité, mais comme un ensemble organisé d'institutions internationales qui gouvernent les interactions entre États membres. Ces institutions sont des règles créées et maintenues par les grandes puissances pour servir leurs intérêts, et elles peuvent inclure des domaines sécuritaires (OTAN, TNP), économiques (FMI, OMC) ou environnementaux (Accords de Paris). Ces ordres sont indispensables dans un monde interdépendant pour réduire les coûts de transaction et gérer le comportement des États plus faibles, mais ils restent des outils aux mains des puissances dominantes, qui peuvent les ignorer ou les réécrire quand leurs intérêts vitaux sont en jeu, comme l'illustre la doctrine Bush prévalant sur le droit international avant la guerre d'Irak en 2003.
---
---
timestamp: "00:03"
marker: "!"
title: "Une typologie des ordres internationaux : réaliste, agnostique et idéologique"
quote: "Les ordres libéraux internationaux ne peuvent surgir que dans des systèmes unipolaires où l'État dominant est une démocratie libérale."
details:
Mearsheimer introduit une typologie essentielle pour comprendre la dynamique des ordres. Il distingue d'abord les « ordres internationaux » (incluant toutes les grandes puissances) des « ordres délimités » (bounded orders, régionaux et dominés par une grande puissance). Le type d'ordre qui émerge dépend principalement de la distribution du pouvoir. En bipolarité ou multipolarité, la compétition sécuritaire entre grandes puissances impose invariablement un ordre réaliste, même si toutes sont des démocraties libérales, comme l'illustrent les rivalités historiques entre le Royaume-Uni, les États-Unis et la France. L'idéologie est subordonnée à la logique de la balance of power.
La situation change radicalement en unipolarité. L'ordre international peut alors être soit « agnostique » (si la puissance unique n'a pas d'idéologie universaliste et tolère les différences politiques chez les autres), soit « idéologique » (si la puissance unique, dotée d'une idéologie universaliste comme le libéralisme, cherche activement à remodeler le monde à son image). L'OIL post-1990 est donc le produit direct de l'unipolarité américaine et de son adhésion au libéralisme universaliste. Mearsheimer note que le communisme, autre idéologie universaliste, aurait pu fonder un ordre similaire si l'URSS avait gagné la Guerre froide.
---
---
timestamp: "00:08"
marker: "!"
title: "L'ordre de la Guerre froide : un ordre réaliste et délimité, non libéral"
quote: "L'ordre de la guerre froide, parfois appelé à tort ordre international libéral, n'était ni libéral ni international."
details:
Mearsheimer récuse vigoureusement l'idée que l'ordre occidental durant la Guerre froide était libéral. Il s'agissait selon lui d'un « ordre délimité » (bounded order) réaliste, confiné à l'Ouest et structuré autour de la confrontation avec le bloc soviétique. Sa mission première était de contenir et vaincre l'URSS, non de promouvoir la démocratie pour elle-même. Les considérations de puissance primaient toujours sur l'idéologie : les États-Unis acceptaient sans problème des régimes autoritaires au sein de l'OTAN (Grèce, Portugal, Turquie) et étaient même prêts à sacrifier le libre-échange (en permettant à la CEE de devenir un bloc économique fermé) si cela servait leur stratégie contre Moscou.
Parallèlement à ces deux ordres délimités rivaux, il existait un mince « ordre international » supervisé par les deux superpuissances pour faciliter la coopération sur des intérêts communs précis, comme la non-prolifération nucléaire (TNP, AIEA) ou la maîtrise des armements (traités SALT, INF). Cet ordre était « mince » (thin) car il n'avait qu'une influence limitée sur le comportement des grandes puissances, surtout dans le domaine économique où les échanges Est-Ouest étaient marginaux. Cet historique est crucial car il montre que l'OIL post-1990 représente une rupture fondamentale, et non une simple continuation de l'ordre d'avant.
---
---
timestamp: "00:14"
marker: "!"
title: "La construction de l'ordre libéral post-1990 : ambitions et illusions"
quote: "Le président George H.W. Bush a décidé de prendre l'ordre occidental réaliste et de l'étendre à travers le globe, le transformant en un ordre international libéral."
details:
Avec l'effondrement de l'URSS et l'avènement de l'unipolarité américaine, les contraintes réalistes de la compétition entre grandes puissances disparaissent. Les architectes de la politique étrangère américaine, convaincus par les théories libérales de la paix (paix démocratique, interdépendance économique, institutionnalisme libéral), entreprennent de transformer l'ordre occidental réaliste en un Ordre International Libéral (OIL) véritablement global. Ce projet ambitieux repose sur trois piliers : l'expansion des institutions internationales à membership universel, la promotion d'une hypermondialisation économique (libre-échange, marchés de capitaux dérégulés), et la promotion vigoureuse de la démocratie libérale à l'échelle planétaire.
Mearsheimer analyse trois politiques emblématiques de cette entreprise pour montrer qu'elles étaient motivées par une logique libérale, et non réaliste. L'élargissement de l'OTAN à l'Est n'était pas une politique de containment d'une Russie perçue comme faible, mais visait à intégrer les ex-pays communistes dans une « communauté de sécurité » libérale. La politique d'engagement (engagement) avec la Chine devait, selon Madeleine Albright, l'intégrer économiquement et institutionnellement pour en faire une « partie prenante responsable » (responsible stakeholder) et finalement une démocratie. Enfin, la doctrine Bush et la guerre d'Irak de 2003 étaient justifiées par la conviction que la transformation démocratique du Moyen-Orient éradiquerait le terrorisme et la prolifération. Les réalistes, note Mearsheimer, se sont opposés à ces trois politiques.
---
---
timestamp: "00:19"
marker: "!"
title: "L'âge d'or apparent (1990-2004) et les premiers signes de faiblesse"
quote: "Peu de gens s'attendaient à ce qu'il commence à se défaire quelques années après le nouveau millénaire."
details:
La première décennie post-Guerre froide semble confirmer le bien-fondé du projet libéral. L'intégration de la Chine (OMC en 2001) et de la Russie (FMI en 1992) dans l'économie mondiale se passe bien. L'élargissement de l'UE et de l'OTAN se déroule sans heurts majeurs. Le nombre de démocraties dans le monde passe de 34% en 1986 à 47% en 2006. Sur le plan économique, l'hypermondialisation génère une croissance abondante, malgré la crise asiatique de 1997. Même les interventions militaires (Koweït 1991, Afghanistan 2001) semblent couronnées de succès, et le printemps 2003, avec la chute rapide de Saddam Hussein, laisse croire que la doctrine Bush est viable.
Pourtant, dès cette période, des signes avant-coureurs de l'échec à venir sont visibles. Les échecs de la Somalie (1993), de Haïti (1994-95) et la lenteur face au génocide rwandais (1994) montrent les limites de l'ingérence. Les tests nucléaires de l'Inde et du Pakistan (1998) rappellent que la non-prolifération n'est pas acquise. Surtout, les guerres de Yougoslavie, bien que terminées par une intervention de l'OTAN, révèlent la persistance des nationalismes violents en Europe même. Cette période n'est donc qu'une trêve illusoire avant la tempête.
---
---
timestamp: "00:22"
marker: "!"
title: "La dégringolade : l'échec de l'ingénierie sociale démocratique"