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chapter: "1"
title: "Introduction : Les historiens face à leurs méthodes"
quote: "Darin liegt die Tragik in der Lage der modernen Geschichtswissenschaft, dass über sie nicht nach ihren eigensten Merken und nicht nach wissenschaftlicher Methode gerichtet wird"
details:
Wilhelm Kammeier introduit son œuvre en soulignant le scepticisme grandissant du public allemand envers l'histoire médiévale traditionnelle. Il critique l'opacité méthodologique des historiens professionnels qui, selon lui, refusent de dévoiler leurs ateliers de recherche au public éduqué. Cette attitude a engendré une méfiance justifiée, d'autant plus que les historiens eux-mêmes reconnaissent des failles dans leurs approches. Kammeier cite des exemples de disputes académiques, comme les controverses entourant l'édition de la Lex Salica ou des Annales de Fulda, où des méthodes contradictoires ont conduit à des résultats divergents, remettant en cause la prétendue fiabilité de la science historique établie.
L'auteur argue que la méthode historique, loin d'être une science exacte, est entachée d'incertitudes fondamentales. Il relève que les querelles entre spécialistes, comme celles impliquant Schmiedler ou les éditeurs des Monumenta Germaniae Historica, révèlent une "confusion babylonienne des méthodes". Kammeier affirme que le profane, doté de simple bon sens, est parfaitement capable de comprendre ces débats, contrairement à l'idée que l'histoire nécessite une expertise inaccessible. Son but est de démontrer que les incohérations des résultats historiques proviennent non d'un manque de volonté des chercheurs, mais des méthodes déficientes qu'ils emploient pour authentifier les sources.
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chapter: "2"
title: "Les documents anciens et la critique diplomatique"
quote: "Wahr ist, was auf echten Geschichtsquellen fußt"
details:
Kammeier définit les sources historiques, en distinguant les sources littéraires (chroniques) des sources documentaires (actes et chartes). Il insiste sur la supériorité présumée des sources documentaires pour établir la vérité historique, en raison de leur origine dans des chancelleries médiévales strictement réglementées. Ces documents, produits par des scribes professionnels, comportent des éléments d'authentification comme les sceaux, les signatures, les chrismons et les signes de reconnaissance, ainsi que des formules stéréotypées et des datations précises. Ils étaient soigneusement conservés dans les archives des monastères et des églises, leurs principaux destinataires.
L'auteur retrace l'histoire de la diplomatique, la science des documents, née d'un besoin pratique aux XVIe et XVIIe siècles pour authentifier des pièces présentées dans des procès. Il cite les figures fondatrices comme le jésuite Papebroch et Mabillon, le "père de la diplomatique", dont les travaux initialement contradictoires illustrent dès l'origine l'absence de méthode fiable et unie. Kammeier souligne que cette discipline, née de préoccupations pratiques et souvent portée par des ordres religieux comme les Bénédictins de Saint-Maur, est entachée dès ses débuts par des incertitudes et des conflits d'interprétation qui minent sa prétention à l'objectivité scientifique.
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chapter: "3"
title: "Nombre, auteurs et but des falsifications de documents médiévaux"
quote: "Es ist unleugbar, dass selbst die hervorragendsten Männer der Kirche, Geistliche, deren Frömmigkeit und rechtschaffener Lebenswandel hochgepriesen wird ... zu Fälschung und Betrug ihre Zuflucht nahmen"
details:
Kammeier présente des statistiques accablantes sur l'ampleur des falsifications documentaires médiévales. Il cite des autorités comme H. Breslau qui estime que près de 50% des diplômes mérovingiens, 15% des premiers carolingiens et 10% des premiers saxons sont des faux. E. Hoffmann avance que sur 262 chartes de Charlemagne, pas moins de 98 sont des falsifications complètes. Des exemples concrets sont donnés : tous les documents carolingiens de l'évêché d'Osnabrück sont faux, 7 des 12 plus anciennes chartes de Gandersheim sont des falsifications, et 50 sur 100 chartes épiscopales de Passau sont jugées non authentiques.
L'auteur identifie les auteurs de ces falsifications comme étant majoritairement des ecclésiastiques, y compris des hommes réputés pour leur piété. Leur motivation présumée était matérialiste : obtenir des avantages pour leur institution (abbaye, évêché), tels que l'exemption d'impôts, le libre choix de l'abbé ou la limitation du pouvoir des avoués. Kammeier conteste vigoureusement cette explication, la jugeant peu crédible pour des hommes d'Église et introduit l'idée que ces falsifications pourraient ne pas être des actes pratiques isolés, mais les résultats d'une action de falsification bien plus vaste et systématique.
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chapter: "4"
title: "Falsifications locales et régionales. Possibilité d'une action de falsification universelle"
quote: "Zwischen allen diesen Fälschungen besteht ein so inniger textlicher Zusammenhang, dass ihre Entstehungsverhältnisse eng miteinander verknüpft erscheinen"
details:
L'auteur examine le cas concret de l'abbaye de Reichenau, présenté par K. Brandi comme un exemple de falsification régionale organisée. Brandi décrit comment des falsifications de chartes impériales y furent produites à trois reprises à grande échelle et comment des falsifications similaires, notamment une charte de vouerie contrefaite, furent découvertes dans les monastères d'Ottobeuren, Kempten, Buchau, Lindau, Rheinau et Stein am Rhein. Brandi et d'autres chercheurs comme J. Lechner identifient Reichenau comme le bureau central d'une action concertée, prouvant l'existence de falsifications générées non pas isolément, mais par une collaboration entre plusieurs institutions.
S'appuyant sur cet exemple, Kammeier émet l'hypothèse audacieuse d'une "action de falsification universelle" (universale Fälschungsaktion). Il argumente que si des actions régionales concertées étaient possibles, une action à l'échelle de tout le Moyen Âge allemand l'était aussi, à condition d'être menée par une organisation puissante, bien structurée et ayant un intérêt majeur à falsifier l'histoire. Il écarte l'idée que des individus ou des petits groupes isolés aient pu mener à bien un tel projet, mais estime qu'une organisation disposant de ressources, de savants et s'étalant sur plusieurs générations en aurait été capable.
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chapter: "5"
title: "Les falsifications médiévales ne proviennent pas de "faussaires pratiques""
quote: "Die bei allen Reichenauer Fälschungen so kraß an den Tag tretende bewusste Mißachtung der 'echten' Vorlagen ist Beweis dafür, dass bei diesen Machwerken kein praktischer Grund wirksam gewesen ist"
details:
Kammeier entreprend de démontrer que les falsifications découvertes (comme celles de Reichenau) ne peuvent pas être l'œuvre de "faussaires pratiques" cherchant un gain immédiat. Il analyse méticuleusement la technique des faussaires présumés de Reichenau, comme le scribe Poppo E (Xe siècle). Il note une contradiction frappante : une habileté certaine à copier certains éléments graphiques complexes de modèles authentiques (chrismon, lignes allongées), couplée à une négligence inexplicable et constante pour d'autres éléments fondamentaux (forme des lettres 'g', 'p', 'r', signes abréviatifs), qu'ils remplacent par les formes en usage à leur propre époque.
L'auteur argue qu'un faussaire pratique, dont le but est de tromper, aurait imité le modèle authentique avec le plus grand soin possible. La présence constante, consciente et cohérente d'anachronismes graphiques dans une même charte prouve, selon lui, une intention délibérée de ne pas reproduire fidèlement le modèle. Cette "négligence intentionnelle" est psychologiquement incompatible avec le profil d'un faussaire cherchant à réaliser une contrefaçon crédible. Kammeier en conclut que ces "faux" étaient destinés à être reconnus comme tels par des initiés et qu'ils sont le produit d'une activité savante et systématique, et non pas frauduleuse et opportuniste.
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chapter: "6"
title: "La singulière constitution mentale des faussaires médiévaux"
quote: "Es genügt ein Blick auf die Urschrift, um die Fälschung sofort zu erkennen, denn die Schrift gehört gar nicht der Mitte des 12. Jahrhunderts an, sondern erst dem Anfang des 13."
details:
Kammeier étend sa démonstration à d'autres cas de falsifications, comme celles de Helmarshausen ou du Latran à Rome, pour montrer que le "comportement aberrant" des faussaires de Reichenau n'est pas isolé. Il décrit un faussaire du Latran qui, pour une fausse bulle d'Eugène III, évite délibérément toute ressemblance graphique ou formelle avec un original authentique qu'il avait pourtant sous les yeux. Pour une autre fausse bulle (Calixtus II), le même faussaire fait preuve d'une habileté remarquable, imitant même le changement d'encre de l'original, prouvant qu'il maîtrise parfaitement son art.
Cette incohérence dans la qualité et l'approche est, pour Kammeier, la preuve définitive que l'on n'a pas affaire à des faussaires cherchant un profit pratique. Un faussaire incompétent ne peut pas subitement devenir un expert, et un expert ne peut pas oublier totalement son savoir-faire au point de produire un faux grossier identifiable au premier coup d'œil. Cette "constitution mentale" contradictoire s'explique, selon l'auteur, si l'on admet que ces documents sont les produits d'une vaste entreprise savante de falsification historique menée à la fin du Moyen Âge, où la perfection de l'imitation n'était pas toujours le but premier, contrairement à la construction d'un récit historique cohérent pour l'organisation commanditaire.
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